Un guide pour estimer l’itinérance en milieu rural au Canada | Un chez‑soi d’abord
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Cecil Scofield, ancien soudeur et travailleur sur une plateforme de forage, a dormi sous un pont et dans un camion abandonné avant de trouver un appartement subventionné d’une chambre à Peace River, en Alberta.

7 juillet 2021

Un guide pour estimer l’itinérance en milieu rural

Au début de 2020, Cecil Scofield, 56 ans, vivait dans un refuge à Peace River, en Alberta. Cet ancien soudeur de plateforme pétrolière avait développé des problèmes de santé chroniques qui l’avaient rendu inapte au travail.

« On ne peut pas vivre dans la rue ici en hiver, explique M. Scofield. La température peut chuter à -40 °C. »

Lorsque le refuge a réduit le nombre de lits disponibles pour respecter les protocoles mis en place en raison de la COVID-19, M. Scofield a été forcé de déménager. Il a passé le printemps et l’été à dormir sous un pont de cette petite municipalité rurale. À l’automne, il s’est réfugié dans un camion abandonné près du magasin coopératif de la ville. Tout juste avant que l’hiver n’arrive, il a enfin obtenu un appartement d’une chambre dans un immeuble de logements subventionnés.

« C’est vraiment bien, comme endroit. Les planchers viennent d’être refaits, les murs ont été fraîchement repeints et la baignoire est neuve. Il y a un sofa et d’autres meubles, qui ont été donnés. »

Les outils traditionnels de collecte de données présentent des lacunes

Les histoires comme celle de M. Scofield sont plus courantes que bien des collectivités rurales ne pourraient le penser. L’itinérance est souvent cachée. Les personnes en situation d’itinérance peuvent vivre dans un terrain de camping, dans une voiture ou un camion, ou encore chez des amis ou des membres de leur famille.

Un nouvel outil primé, le Guide étape par étape pour estimer l’itinérance en milieu rural (en anglais seulement), aide les petites villes de l’Alberta à avoir une meilleure idée de la situation de l’itinérance. Du même coup, l’outil les aide à mieux planifier le logement et les services de soutien, et à faire valoir leur importance. Il a connu un tel succès qu’il est maintenant utilisé par des collectivités de partout au pays.

Cet outil a été mis au point par le Rural Development Network (en anglais seulement), qui a récemment reçu le Prix Toit d’or pour le savoir en action de la SCHL.

C’est dans le cadre de ses efforts visant à mettre en œuvre la stratégie fédérale Vers un chez-soi en Alberta que le Rural Development Network a pris conscience de la nécessité de créer ce guide.

« Les municipalités rurales étaient de plus en plus nombreuses à nous dire être confrontées à des défis liés à l’itinérance », explique Scott Travis, directeur, Recherche et programmes, du Rural Development Network.

« Mais les administrations n’avaient pas les outils nécessaires pour collecter les données requises afin de déterminer l’ampleur et la nature du problème. »

La méthode standard pour estimer l’itinérance dans la plupart des villes est l’approche du dénombrement ponctuel. Elle consiste à recenser le nombre de personnes ayant dormi dans un refuge ou dans la rue au cours d’une nuit donnée. Cependant, les ressources limitées, combinées à la nature cachée de l’itinérance en milieu rural, font en sorte que cette approche n’est pas efficace pour de telles collectivités.

Un sondage réalisé sur une plus longue période permet d’obtenir des résultats plus exacts

Le sondage du Rural Development Network s’échelonne sur un mois. Une organisation est généralement désignée pour assurer la coordination avec les organismes participants, comme les banques alimentaires ou les bibliothèques. Toutes les personnes qui se prévalent de ces services sont invitées à répondre au sondage. Cette méthode est économique et flexible, en plus de présenter un taux d’engagement et d’exactitude plus élevé.

En 2018, le Rural Development Network a mis le guide à l’essai dans 20 collectivités. Il s’agit du plus grand dénombrement collaboratif de l’itinérance jamais effectué dans les régions rurales du Canada. Le guide a permis de déterminer que 3 000 personnes environ n’avaient pas de logement sûr. En 2020, le Rural Development Network a élargi la portée du sondage pour inclure 24 collectivités. Les résultats ont été publiés en mai 2021.

Nous avons constaté que 30 % des personnes en situation d’itinérance avaient un emploi et que 13 % travaillaient à temps plein.
— Scott Travis, directeur, Recherche et programmes, Rural Development Network

« Ces études nous ont appris beaucoup de choses sur l’itinérance en Alberta et ont remis en question nos hypothèses, affirme M. Travis.

Nous avons constaté que 30 % des personnes en situation d’itinérance avaient un emploi et que 13 % travaillaient à temps plein. Nous avons également constaté que la ruralité n’explique pas tout. Dans certaines villes minières, l’itinérance est créée par le ralentissement de l’activité dans le secteur de l’énergie, car cela occasionne des pertes d’emploi et donc des pertes de logement. L’itinérance existe même dans les villes aisées comme Banff et Canmore, où des gens n’arrivent pas à se trouver un logement même s’ils travaillent à temps plein », poursuit M. Travis.

Le sondage a également révélé que les Autochtones et les jeunes, en particulier celles et ceux qui s’identifient comme LGBTQ2S, étaient surreprésentés parmi les personnes en situation d’itinérance dans les collectivités rurales.

Les données du sondage montrent la nécessité d’un nouveau refuge pour personnes en situation d’itinérance

Marc Boychuk est un défenseur des droits des personnes en situation d’itinérance et a dirigé les recherches du Rural Development Network à Peace River. Selon lui, les données du sondage ont contribué à découvrir l’ampleur de l’itinérance dans sa ville. Cela l’a également aidé à faire valoir la nécessité d’aménager un nouveau refuge.

Marc Boychuk, défenseur des sans-abri, a trouvé des personnes qui vivaient dans des terrains de camping, des roulottes improvisées et le hall d’entrée du bureau de poste de Peace River.

« Jusqu’à il y a plusieurs années, je n’étais pas au courant du problème. J’ai vu un film sur l’itinérance et je me suis dit : Dieu merci, nous n’avons pas ce problème ici, à Peace River. »

Malgré cette réflexion hâtive, le film lui a ouvert les yeux : M. Boychuk a commencé à remarquer des gens qui vivaient dans leur véhicule sur un terrain de camping ou dans des remorques de fortune. Après avoir rencontré de nombreuses personnes dans cette situation, il a senti qu’il se devait de défendre leurs droits. Ayant un emploi à temps plein dans une usine de pâte à papier, il s’est occupé de cette cause dans ses temps libres. Il a créé une fondation, mais a trouvé difficile de recevoir du soutien du gouvernement et des chefs d’entreprise.

« Si j’avais reçu un dollar chaque fois que j’ai entendu qu’il n’y avait pas de problème d’itinérance... Lorsque nous avons obtenu les résultats du sondage du Rural Development Network, on ne pouvait plus nier la présence d’un problème d’itinérance. J’ai pu montrer aux autorités que Peace River était la municipalité rurale ayant le plus grand nombre de personnes dormant dehors. »

« Dans une collectivité, il arrive qu’on ait des ouï-dire de personnes traversant une période difficile. Lorsqu’on a des données à l’appui, ces ouï-dire gagnent en crédibilité. »
— Sharida Csillag, coordonnatrice du développement communautaire, Stony Plain

La petite ville de Stony Plain, située pas très loin d’Edmonton, s’est elle aussi servie de l’outil d’estimation, ce qui s’est avéré bénéfique. Sharida Csillag est l’agente de développement communautaire de la ville. Selon elle, le sondage a contribué à une meilleure compréhension de l’itinérance dans la municipalité.

« Dans une collectivité, il arrive qu’on ait des ouï-dire de personnes traversant une période difficile. Lorsqu’on a des données à l’appui, ces ouï-dire gagnent en crédibilité », remarque-t-elle.

Le sondage a modifié la perception de l’itinérance en milieu rural

« Le sondage a également remis en question les idées qu’on se faisait de l’itinérance, ainsi que de la stigmatisation qui y est associée. L’une de ces idées préconçues est de s’imaginer qu’une personne en situation d’itinérance a besoin d’un refuge d’urgence. En réalité, bon nombre des personnes que nous avons sondées et qui correspondent à la définition acceptée de l’itinérance ne se considéraient pas comme vivant cette situation, explique Mme Csillag.

Scott Travis, directeur de la recherche et des programmes du Rural Development Network, et Sharida Csillag, coordonnatrice du développement des collectivités de Stony Plain, à l’extérieur de l’un des sites de l’enquête sur l’itinérance de Stony Plain.

L’une des choses qui nous ont le plus surpris, ça a été de voir l’enthousiasme des personnes à répondre au sondage. Elles voulaient être entendues. Elles voulaient que leur opinion soit prise en compte. Elles voulaient que leurs données soient utilisées. Elles se sont toutes montrées très reconnaissantes que nous leur ayons proposé de répondre à ce sondage et que nous leur ayons offert notre écoute. »

En plus des projets autonomes dans plusieurs collectivités du pays, le Rural Development Network prévoit de mener une étude en 2022 qui inclura des collectivités plus éloignées.

« Je pense que nous devrons apprendre à adapter encore plus notre outil pour ces collectivités éloignées et nordiques, prédit M. Travis.

Certaines d’entre elles n’ont peut-être pas de lieu central pour la prestation de services. Comment s’y prendre pour entrer en contact avec les gens dans un tel cas? Nous poserons également des questions sur la COVID-19 et son incidence sur les personnes en situation d’itinérance dans la collectivité. Dans l’ensemble, nous examinerons comment nous pouvons adapter et personnaliser notre outil afin de l’utiliser à plus grande échelle et d’en faire profiter le plus de gens possible », conclut M. Travis.

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